A. Devanthéry: Itinéraires. Guides de voyage et tourisme alpin, 1780-1920

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Titel
Itinéraires. Guides de voyage et tourisme alpin (1780-1920).


Autor(en)
Devanthéry, Ariane
Erschienen
Paris 2016: Presses l’Université Paris-Sorbonne (PUPS)
Anzahl Seiten
351 S.
von
Tissot Laurent

Rodolphe Töpffer n’était pas homme à concessions. Ses jugements sans appel ne prenaient pas les mêmes zigzags que ses voyages en Suisse. En matière de guides de voyages ou d’itinéraires comme il les appelait, ses propos fendaient l’air comme une flèche: «Lisez-les et vous êtes perdu» affirmait-il. Vous avez même le droit de les brûler. Cette condamnation est assortie toutefois d’exceptions: le «bon Ebel, Murray, Joanne, quelques autres encore qui sont, non pas des guides bavards, mais plutôt des compagnons instruits et sensés. » S’il avait pu le consulter, Töpffer aurait certainement ajouté à cette liste Baedeker.

Ebel, Murray, Joanne, Baedeker, ce sont justement les guides qui forment la trame de l’analyse d’Ariane Devanthéry. Les guides de voyage ont certes déjà une histoire, mais ils trouvent ici une nouvelle approche qui donne à l’aspect culturel une place centrale, ce qui n’a pas toujours été le cas auparavant. Mais avant d’entrer plus en détail dans la confection de cette trame, il nous faut louer les qualités extérieures de l’ouvrage. Ariane Devanthéry nous donne autant à voir qu’à lire un livre dans lequel le lecteur se délecte à prendre connaissance d’un texte très soigneusement rédigé, mais aussi d’illustrations superbement mises en évidence, illustrations qui non seulement «illustrent », mais participent pleinement à la compréhension du processus qui y est décrit: l’émergence d’une littérature de voyage apte à «guider» le lecteur-voyageur dans la découverte du monde alpin. Ne prenons donc pas cette louange dans un sens purement décoratif – un «beau» livre avec de «belles» illustrations –, même si l’intention de l’auteure est justement d’aborder l’histoire du guide de voyage sous son aspect ‹ formel », c’est-à-dire d’interroger « l’évolution des présentations matérielles et typographiques » (p. 23) qui fondent le succès de cette littérature au sens propre du terme.

Cette amorce est très pertinente parce qu’elle met le doigt sur la spécificité de ce genre d’ouvrage qui associe l’état d’une connaissance sur un lieu, un espace ou un monument, des conseils sur l’art de voyager et la mise en pratique de ces informations, soit le moment qui voit le lecteur devenir voyageur, c’est-à-dire le moment où cette connaissance est activée par la juxtaposition du «lire » et du «voir ». L’aspect pratique prend une dimension déterminante dans le rôle de mentor qu’il entend jouer: lisibilité, maniabilité, efficacité, fiabilité, concision doivent converger vers l’unique but d’aider le client. C’est dire que la conception d’un guide de voyage est intimement liée à ses usages et c’est tout l’intérêt de l’étude d’Ariane Devanthéry d’insister sur cet aspect. Un guide, même s’il fait partie du vaste ensemble qu’est la littérature de voyage, n’est pas un ouvrage comme un autre. Le défi des éditeurs est de construire un objet – un outil dirions-nous – qui, tout en gardant le même objectif – informer –, peut servir à différents emplois – consultation avant, pendant et après le voyage, vérification des données, ajout personnel d’informations – et à répondre à différentes questions: historique de l’espace visité, localisation et coûts des déplacements et des prestations, choix des itinéraires, sélection des «choses» à voir, soit tout un dispositif qui doit le rendre utile. En ce sens, l’éditeur est confronté à la quadrature du cercle: satisfaire une personne dont il ne sait pas, par avance, comment elle conçoit son voyage, comment elle utilisera le guide et qu’est-ce qu’elle en attend. Ce qui réduit la confection d’un guide de voyage à des prises de décision capables de le rendre attractif à un moment donné compte tenu des connaissances qu’il veut diffuser dans son approche vulgarisatrice, des circonstances dans lequel il peut être utilisé et du contexte technique et social dans lequel il s’inscrit. D’où la constitution d’un véritable marché où ces conceptions s’affrontent : comment présenter, comment dire, comment décrire deviennent des questions complexes auxquelles les éditeurs essayent de répondre en s’appuyant sur la tradition, l’innovation ou l’imitation. L’enjeu est en effet de taille que de faire coïncider des choix éditoriaux aux configurations changeantes d’un espace et d’une population itinérante.

Croire que le guide ne répond qu’à des attentes de voyageurs, attentes qu’il essayerait dans la mesure du possible de combler ne montre qu’une facette de cet enjeu. Par sa posture et son autorité, il suscite aussi des attentes, forme l’oeil, impose des normes, créé des goûts. Au cours du XIXe siècle, les nouveaux «entrants» dans l’univers touristique n’ont pas la formation ni l’éducation, ni le capital symbolique que leurs prédécesseurs venant de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie pouvaient posséder. À mesure que c’est à ces clientèles que le guide de voyage s’adresse, la part de risque diminue dès lors qu’il est en état de fixer des standards. Mais c’est toujours dans cette confrontation entre «offres» et «demandes» qu’il faut comprendre son émergence, son affirmation et son succès.

Ariane Devanthéry montre bien de quelle manière, sur la longue durée, un modèle de guide s’impose peu à peu pour domestiquer le voyageur. Dès les années 1880, le «Baedeker» s’affirme comme «le» guide de référence, pulvérisant toute dimension «subjective» ou «affective» au profit d’une attention unique au chiffre, à la mesure, au détail. Mais pour en arriver là, le chemin a été long et sinueux, jalonné par des marqueurs essentiels – Ebel, Murray, Joanne – qu’Ariane Devanthéry décortique précisément à travers leur examen. Mais l’auteure est bien consciente que ce parcours est aussi conditionné par l’introduction de progrès techniques sur le plan de l’imprimerie et de la cartographie, par une évolution du voyage qui voit de nouvelles clientèles s’immiscer dans ce qui devient une industrie, par une meilleure connaissance des espaces visités, par une accélération de la vitesse de déplacement et une multiplication des lieux d’hébergement. Le guide se transforme donc au même rythme que l’objet même qu’il décrit. À cet égard, nous avons été particulièrement sensible aux pages consacrées au rôle des cartes dans les guides de voyage et dont le dernier chapitre s’occupe largement. L’étude de leur conception, de leur emplacement, de leur esthétique témoigne du souci constant des éditeurs de fixer des exigences à leur travail. À cet égard, le guide de voyage devient un véritable outil à «haute technologie».

Même si elle tient à la limiter au «domaine littéraire», l’étude d’Ariane Devanthéry déborde largement sur d’autres domaines, historiques, techniques, sociaux, symboliques pour nous faire comprendre qu’il n’y a pas d’arts mineurs dans l’art de voyager, ni dans la façon de le décrire, ni dans celle de l’étudier. L’exercice est pleinement réussi.

Zitierweise:
Laurent Tissot: Ariane DEVANTHÉRY: Itinéraires. Guides de voyage et tourisme alpin, 1780-1920, Paris: Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 261-263.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 261-263.

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